Abstentionniste, dois tu fermer ta gueule ?
Non, Fred, t’es pas tout seul… toi et tes copains abstentionnistes, vous êtes 27.125.535… soit 57,36% des français en âge de voter pour les législatives. Une paille quoi.
Ce chiffre affolant permet à certains de dire que, les nouveaux députés ne sont pas légitimes… enfin pas tous… notamment si t’es député Insoumis car toi, en fait, tu es LE Peuple donc de facto tu es légitime. A contrario, si tu es député LREM, ben tu dois démissionner sur le champ, en te flagellant et en marchant sur les genoux de ta circonscription à l’Assemblée Nationale. En général, cette fine analyse s’accompagne d’un non moins définitif « façon, l’abstention c’est à cause de Macron ».
On pourrait croire que je caricature… malheureusement, il suffit d’écouter un Mélenchon ou un Corbières pour se rendre compte que non. Il faut reconnaitre qu’il y a également le discours diamétralement opposé du « si t’es abstentionniste, tu fermes sa gueule et pis c’est tout, je suis légitime et je t’emmerde ».
Loin de ces positions caricaturales et bien réelles, cette montée progressive de l’abstention depuis plusieurs décennies pose un certain nombre d’interrogations, qu’à ce jour aucune initiative n’a réussi à enrayer.
Bien entendu, on n’aurait tort de balayer d’un revers de main, cette question de la légitimité de nos élus, et je dis bien tous nos élus, du simple conseiller municipal au député. Qui peut en effet contester que cette légitimité s’effrite à mesure que le corps électoral le désignant se rétrécie. Face à cette réalité, on a été tenté de mettre en avant la démocratie participative - comité de quartier, conseil citoyen - avec des succès, il faut bien l’avouer, fort modestes. Lieux où très souvent, quand on a un peu de bouteille, on a tendance à rencontrer les mêmes personnes dans un vase clos qu’on dénonce par ailleurs.
La démocratie de proximité est à réinventer, en généralisant des budgets participatifs ? en retissant les liens distendus entre les citoyens et les élus ? en généralisant via des plateformes permettant des consultations directs ? Cela peut bien entendu revitaliser notre démocratie néanmoins il nous faut également repenser la lisibilité de la décision politique et son millefeuille politico-administratif. A ce propos, la métropolisation semble devenu l’alpha et l’oméga pour les élus au détriment des municipalités où le citoyen lambda peine encore plus à trouver sa place, si d’ailleurs on veut réellement lui donner.
Autre élément de désaffection, à tort ou à raison, ce sentiment qui veut se qui font et appliquent la loi sont trop souvent au dessus d’elle. Alimentant de facto, le tous pourris et malheureusement les évènements récents ont contribué à accentuer ce fossé. Fossé encore plus grand quand les élus veulent demander des sacrifices à une grande partie de la population et que certains de ces mêmes élus ne se les appliquent pas à eux-mêmes.
Probablement un autre élément qui déstructure l’engagement citoyen minimal qu’est le vote. Celui d’une dilution toujours plus importante du sens collectif au profit de l’individu et de l’individualité. Cette atomisation se généralise à tous les pans de notre vie quotidienne… du smartphone, premier pas vers la transhumanisation de nos existences augmentées ou pas d’ailleurs ; à cette ubérisation de nos vies salariées où là également le soi supplante radicalement le nous. Avec comme conséquence cette même nécessité de réinventer l’expression syndicale. Cette somme d’individualisations a pour conséquence, une déliquescence du « pouvoir » politique sur nos sociétés. Sans compter la prégnance du tout économique et de l’immédiateté sur les champs des possibles alors même que nous sommes face à des défis qui n’ont jamais demandé autant à la décision politique.
Enfin, comment passer sous silence la responsabilité des partis politiques dans cette crise actuelle. Longtemps considérés comme des lieux d’éducation populaire – avec un prisme par trop idéologique -, peu à peu ils se sont vidés de cette dimension essentielle où l’intelligence citoyenne était un bien commun – ok je m’emballe un peu mais il y avait de ça -. Aujourd’hui, tous sont devenus des machines à égos dont l’ambition se limite quasiment exclusivement à la conquête d’un mandat où la fin - faim ? - justifie les moyens. Alors que plus que jamais les débats ont besoin d’une confrontation du terrain et de l’expertise ; les partis sont désormais dans l’incapacité de les accueillir. Les intellectuels et scientifiques ont été exclus il y a déjà quelques décennies, et les porteurs d’expériences considèrent qu’ils n’ont plus de temps à perdre avec les partis. Bien entendu, de temps à autre, hommes/femmes politiques tentent de mettre en exergue l’un ou l’autre mais très rarement ce nécessaire dialogue.
La conjonction de ces éléments – et il y en d’autres – a eu pour conséquence une déflagration terrible pour les partis de gouvernement, l’un est quasi mort, l’autre est sévèrement amputé. Si les partis aux extrêmes de notre échiquier politique ont pu tirer parti de cette situation, ils ne le doivent qu’à leur seule fonction tribunicienne. Ils ont beau jeu de vouloir délégitimiser leurs « ennemis », il n’en demeure pas moins qu’ils n’ont pas réussi à mobiliser davantage – ok il y a le grand complot des médias -.
Les partis politiques s’ils veulent inverser cette tendance lourde d’une abstention endémique et durable, doivent se réinventer ou s’inventer pour l’un d’entre eux. Tant au niveau de leurs pratiques que de dans leur capacité à produire de l’intelligence et donc de l’envie. Les seuls slogans ne seront d’aucune utilité sur le moyen et long terme.